Celle qui a dit « non ».
de Stéphane Lemaire
Décors :
Une table pour 4 personnes avec 4 chaises.
Personnages :
- Sophia (la mariée) : Une jeune femme, à la fois nerveuse et déterminée.
- Charles (son père) : Fier et autoritaire, convaincu que son choix est le meilleur pour sa fille
- Louise (sa mère) : Réservée au départ, mais porte en elle un désir de rébellion étouffé.
- Arnaud ( le marié) : Poli mais suffisant, représentatif d’une vision patriarcale.
Une table élégante à laquelle sont assis Sophia, Louise, et Arnaud. Charles, le père revient avec deux contrats et un stylo, et les tend à Arnaud.
Charles : Tiens, voici la dernière version du contrat qui atteste de l’apport financier pour les parts dans l’entreprise. Et voici le contrat du mariage qui aura lieu pour ma fille.
Arnaud : lit en diagonale les documents, les signe et les rend à Charles.
Charles : – pose le contrat de mariage devant Sophia : Signature.
– Charles s’assoie.
– à Louise : Champagne.
Louise : se lève en direction de la cuisine, pour aller chercher le champagne. Elle revient avec la bouteille et s’assoie.
Charles : Et on le boit à la bouteille ?
Louise : Ah oui, les verres..
Sophia : Non maman, ce n’est pas la peine. Je ne signerais pas.
Arnaud : Sophia ?!
Sophia : J’ai dit « Non ».
Charles : Sophia, arrête cette folie immédiatement ! Tu ne veux pas dire ça.
Sophia : Si, je veux le dire, et je le dis. Et pour une fois, c’est ce que je veux vraiment. Ce n’est pas de la folie. Je refuse ce mariage qui a été orchestré de toute pièce !
Arnaud : Sophia, cette journée est importante, pour toi, ta famille, pour moi. Pour nous : ce n’est pas le moment de tout gâcher. Tous nos invités se sont réunis aujourd’hui pour ce moment !Dis « oui », et on pourra passer à autre chose.
Sophia : C’est justement ça, Arnaud. Tout le monde veut mon ‘oui’ pour passer à autre chose, d’abord le vin d’honneur, puis le repas, et enfin les enfants, la maison et le monospace ! Mais personne ne m’a demandé ce que je voulais. Je refuse de m’effacer derrière des décisions que je n’ai pas prises.
Arnaud : Enfin, tu ne penses pas ce que tu dis ? Tu es devenue complètement folle !
Charles :Tu parles comme une enfant capricieuse et égoïste ! Tu nous fait honte ! Ce mariage est une bénédiction pour toi, et pour notre famille. Pense à l’entreprise familiale ! Pense au contrat ! Un avenir tout tracé avec un homme respectable !
Sophia :Un avenir tout tracé… Par toi, papa ! Toujours toi ! Tu as tracé ma vie comme on trace une ligne sur du papier : droite, sans jamais me demander si je voulais suivre ce chemin. Mais moi, moi, je refuse d’être un dessin qu’on termine à ma place. Si quelqu’un doit l’épouser ici, c’est toi !
Arnaud : Bon. Ma petite Sophia, peut-être pourrions-nous… discuter calmement. C’est vrai qu’il est important de réfléchir aux responsabilités du mariage.
Sophia : Je ne rejette pas le mariage. Je rejette CE mariage. Un mariage où, finalement, je n’ai pas eu mon mot à dire. Je n’ai pas eu mon mot à dire, et on refuse celui que je crie. Je ne suis pas un pion qu’on déplace sur l’échiquier de deux familles. Et toi, tu n’es pas capable de te marier sans sortir ton chéquier ?
Arnaud : Alors, tu me méprises ? Moi, après tout ce que j’ai fait pour toi, pour ta famille ? Et tout ce que ton père à fait pour toi ? Justement, tu parlais des enfants, l’horloge tourne Sophia, et un jour, il sera trop tard ! Et ta sécurité ? Je peux te combler financièrement ! Ton père et moi en avons parlé, tu ne manqueras de rien !
Sophia : Alors c’est ce que je suis pour vous ? Une ligne sur un contrat ? C’est gentil de vouloir partager, mais tes insécurités ne m’intéressent pas. Vous voulez tout de moi, tout… et moi, Sophia, tout ce que je veux c’est pouvoir dire non. Votre idée est que je dois m’abandonner à un rôle que je n’ai pas choisi. Que ma vie appartienne d’abord à mon père, puis à mon mari, mais on est plus au moyen âge. Je veux que ma vie m’appartienne. A moi !
Charles : Assez ! Tu crois quoi ? Que tu vas réussir à vivre toute seule, sans argent, comme une pauvre fille, rejetée par tous ? Je ne serais pas toujours derrière toi, je ne vais pas t’entretenir toute ta vie ! Une femme sans mari n’a aucune place dans ce monde !
Sophia : Mais ouvre les yeux, le monde change ! Il change vraiment !
Louise : Elle à raison.
Louise : Sophia a raison. Et moi, je n’ai pas eu le courage de dire « non » quand il le fallait.
Charles : Louise, qu’est-ce que tu racontes ?
Louise : (le regard fixe) Je raconte la vérité, Charles. Quand mon père à organiser ce mariage avec toi, je voulais dire non. Mais j’avais peur. Peur de ce que diraient mes parents, peur de la honte, peur de ne pas être à la hauteur. Alors, j’ai dit « oui ». Et je ne regrette pas tout, mais je regrette de ne pas avoir eu la force de dire ‘non’. Parce qu’à partir de ce moment, j’ai perdu un peu de moi-même. Alors, si Sophia a cette force, je souhaite qu’elle ne l’a quitte jamais.
(Sophia et Louise sortent de scène, main dans la main)